« Tokyo Grid » a été capturée en quelques secondes, depuis la vitre d’un gratte-ciel, lors de mon dernier jour de mon premier voyage au Japon. En tant que Tunisienne confrontée à un choc culturel intense, j’avais passé plusieurs jours à traverser les immenses passages piétons de Tokyo, courant avec l’appareil photo en main, submergée par le mouvement, la lumière et le bruit. Chaque passage piétons semblait comme un portail, une transition d’une dimension à une autre. Toujours chaotique, rapide, surstimulant.

Mais cet instant était différent. Pour la première fois, j’étais en hauteur, à distance. Je n’étais plus plongée dans ce passage : je l’observais. La scène m’a semblé paisible, presque silencieuse car j'étais à l'intérieur. Les lignes au sol formaient une structure géométrique, rythmée, parfaitement ordonnée. C’est le seul moment de mon voyage où j’ai réellement vu ce croisement dans le calme.

Cette série reflète ma connexion complexe à l’espace et au mouvement au Japon. C’est un paradoxe : ce qui, dans la société japonaise, est profondément structuré et précis me paraît chaotique, simplement parce que cela m’est étranger, hors de ma zone de confort. Ce moment silencieux d’observation est devenu une métaphore de mon expérience à Tokyo: structurée mais étourdissante, magnifique mais désorientante. Ces images comptent parmi les meilleures que j’aie jamais prises, et marquent un tournant dans ma manière de percevoir la photographie, la culture, et la réalité.

Le choix du noir et blanc traduit ce sentiment d’arrêt brutal, de calme soudain, face à la frénésie des voitures et de leur bruit chaotique; tandis que la couleur exprime le mouvement des piétons et les émotions des individus, rendant les images à la fois plus dynamiques et apaisantes. Le cadrage met en valeur l’individualité dans un vaste espace: les lignes du passage piéton, gigantesques par rapport aux personnes, leur offrent pourtant un moment de transition, de passage, en toute sécurité.

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