Elle marche.

Malgré le poids du sac, malgré le poids d’une enfance douloureuse greffée entre les omoplates. 40 degrés et pas une foutue ombre où disparaître. Elle avance. À reculons d’abord. Parce que c’est brutal, parce que c’est la première fois qu’elle se retrouve là, face à elle-même, sans détour, sans porte de sortie, sans écran, sans bruit. Juste elle. Elle et ce qu’elle a planqué tout au fond.

La violence isole, isolant isoloir. On a avancé, la pesanteur en ligne de fond et où le silence se confond avec les mensonges. Je l’ai suivi 3 mois. Je l’ai accompagnée, dans la douleur de mes pieds devenus bleus, et de mes pouilleux moyens pour comprendre tout ce qui constitue sa vie. Durant cette pause le pouvoir était passé des mains de ses bourreaux aux miennes. Elle vit dans un conte de fée très sombre où la violence et la soumission sont choses communes, normales, légitime. Elle est là, dans toute sa fragilité qui émeut, à réapprendre le quotidien, celui qui consiste tout simplement à nous maintenir en vie, comme si elle venait à peine d’éclore d’un œuf cabossé par seize années de secousses et de fractures.

Elle, c’est une adolescente de 16 ans lorsque je la rencontre en 2024. Elle est placée sous la protection de l’enfance et je suis devenue son accompagnante pour un séjour de rupture, 3 mois de marche du Sud au Nord de l’Espagne. Plus de 1500 km parcourus dans la douleur, les larmes et quelques rires. Une faible lueur dans la noirceur des ombres qui l’envahissent.