Interview Sandrine Rousseau - Best Maghreb Photo Project of 2017
Tu fais de la photo depuis combien de temps et comment tu es venu à utiliser ce médium pour t'exprimer ?
J'ai découvert la photographie vers 22 ans (donc il y a presqu'une trentaine d'années). Dans un premier temps, cours du soir dans l'Art Centre dans lequel je travaillais en Angleterre, puis A level photographie dans la foulée. Mais l'élément vraiment déclencheur dans mon parcours a été mes 2 années passées en Chine (entrecoupées d'une année d'école de photographie). Là bas, loin de tous mes repères, l'appareil photo est devenu mon compagnon de route, un véritable outil d'exploration pour me conduire sur des chemins où je n'aurai pas été autrement.... reportages sur les hutongs de Pékin, puis voyage solo à travers le Yunnan et les minorités tibétaines des régions autonomes chinoises... Ma deuxième année en Chine (1994-95), je l'ai passée à documenter les modes de vie contrastés des habitants de la ville de Hangzhou et d'un village reculé dans les montagnes du Zhejiang.... Là , je me sentais à ma place et la photographie a toujours fait partie de ma vie depuis.
Ou trouve-tu ton inspiration en général ? Y'a-t-il des artistes qui t'inspirent encore ?
Mon inspiration, ca vient de ma soif d'explorer, de découvrir, et aussi le besoin de m'exprimer à travers un medium créatif. L'appareil photo est un outil qui permet cela.
Ma motivation est liée à ce qui m'interpelle, et c'est ce qui stimule mes projets qu'ils soient documentaires ou «fine-art».
Mon parcours a été marqué et inspiré par mes lieux de vie (Chine, Angleterre, montagnes des Pyrénées ariégeoises et plus récemment mes aller-retour au Maroc) dans lesquels je me suis investie au travers de projets photo-documentaires. Les sujets traitent de l'identité liée à la mobilité géographique et aux modes de vies (choisis ou imposés) auprès de populations en marge. Souvent participatifs, j'allie images et témoignages.
Progressivement et en parallèle, je me suis également dirigée vers une démarche photographique plus intime où mes photographies font écho à mon monde intérieur avec une dominante plus esthétique ou ‘fine-art'.
Les photos primées « paysages intimes » en sont une illustration.
Mes influences:
J'aime plutôt parler de photos qui m'ont touchées ou de démarches artistiques.
- Les photographies documentaires de la FSA prises par les photographes des années 30 aux Etats Unies ont été les premières photos qui m'ont marquées.
- Tina Modetti, Edward Weston, Paul Strand, Aaron Siskind, Ralph Gibson, Lucien Hervé, Michael Kenna...et bien d'autres ...
- Jungjing Lee pour ses images poétiques à composition singulières et tirages texturés.
- Fabienne Verdier, artiste peintre influencée par la peinture et calligraphie chinoise et qui transmet l'essence du vivant, des énergies à travers de simples et complexes traits de pinceau.
J'aime les œuvres/photos dont on ne se lasse pas à les regarder dans le temps et qui ont une ‘âme'.
Raconte-nous dans quelles circonstances tu as décidé de commencer ta série « Désert du Sahara » ?
Au départ, c'était une exploration photographique sans direction particulière. Puis j'ai trouvé beaucoup de similarités entre mes images prises lors de mon premier trek dans le Sahara et celles prises de la Pedrera, bâtiment de Gaudi à Barcelone. Dans les 2 lieux, un travail graphique, abstrait, épuré autour de lignes, courbes et textures où il était difficile de différentier l'endroit de prise de vues. Cela a donné lieu à ma première exposition “Sand & Stone†de photographies “fine -art†à la galerie Anne Clergue à Arles, et à la galerie Hegoa à Paris. Puis j'ai voulu approfondir et affiner ce travail et je suis retournée sur les lieux...
Les images primées font parti de ma deuxième visite dans le désert du Sahara.
Ces images graphiques et ‘épurées' font aussi écho à une étape dans ma vie où l'acte d'aller à l'essentiel est omniprésent. Le besoin de faire le vide, de regarder ce qu'il reste, de retirer le superflu, et de rester dans l'équilibre... sont des phénomènes récurrents que j'aime exprimer dans mes photographies à travers les qualités plastiques de mon sujet, où je donne beaucoup d'importance à la justesse et à la sobriété dans mes compositions.
Le choix du lieu de prises de vues, le désert du Sahara n'est donc pas un hasard. La marche lente et méditative de plusieurs jours dans cet environnement dénudé est l'endroit parfait pour permettre cette démarche, s'imprégner du milieu, et être disponible à ce qui se présente.
Un voyage que je viens de renouveler ce mois-ci pour aller plus loin dans cet acte de photographier.
Projet à venir :
Un projet évolutif sur le désert du Sahara autour de la région de M'hamid où je réuni deux genres photographiques (documentaire et/ou esthétique ‘fine-art') afin de caractériser le désert de différentes façons.
Dans la première partie, le paysage est photographié de façon ‘neutre' et documentaire pour montrer ses caractéristiques physiques et les signes de la désertification - la traversée sur la terre desséchée d'anciens pâturages, signes d'une vie nomadique disparue, l'espace indéfini de plantes et d'arbres morts suivi de soupçons de vie végétale.
Et puis, dans la deuxième partie, mon ressenti intérieur interpellé par cet environnement est exprimé de façon plus symbolique et intuitif avec une place plus importante laissée à l'esthétique, à travers la beauté des sculptures naturelles formées par le vent, le sable et la lumière.
Qu'en penses-tu du concours « Maghreb Photography Awards »
C'est un concours important car il n'y en avait pas qui représentait cette zone géographique qui mérite attention avec une culture très riche, une société de contrastes et en pleine mutation, une diversité de paysages, de lumières et d'environnements incroyables, et aussi une opportunité de montrer les artistes du Maghreb ou d'autres continents qui créent et photographient sur cette zone géographique.